Représentation culturelle de la dépression et du suicide chez les Francophones ouest-africains du Québec et de Côte d’Ivoire
Les troubles mentaux et plus largement les souffrances psychologiques et sociales sont aujourd’hui un des problèmes majeurs de santé dans le monde. Au regard de la charge mondiale causée par ces troubles, l’Assemblée mondiale de la Santé a adopté en mai 2012 une résolution préconisant une réponse globale coordonnée au niveau des pays pour répondre aux besoins de prise en charge des troubles mentaux. Ainsi, dans la perspective d’une recherche visant à améliorer la santé mentale et parvenir à promouvoir la santé pour tous (Patel & Prince, 2010), la présente étude s’intéresse à comprendre les représentations sociales et culturelles de la santé et de la maladie mentale, à la lumière de la dépression et du suicide en contexte africain.
2La dépression est classée comme un trouble mental courant présent à travers le monde et les cultures sous différentes manifestations (Bellanger et al., 2001). La dépression est une affection fréquente dans le monde qui touche environ 322 millions de personnes soit environ 4.4 % de la population mondiale (OMS, 2015). Le nombre total de personnes vivant avec la dépression a augmenté de 18,4 % entre 2005 et 2015. Elle est souvent décrite comme se caractérisant par une tristesse, une perte d’intérêt ou de plaisir, des sentiments de culpabilité ou de dévalorisation de soi, un sommeil ou un appétit perturbé, une certaine fatigue et des problèmes de concentration. La dépression peut perdurer ou devenir récurrente, entravant ainsi de façon substantielle l’aptitude d’un individu à fonctionner au travail ou à l’école ou à faire face à sa vie quotidienne. Elle peut également dans certains cas conduire au suicide (OMS, 2020).
3La dépression affecte outre l’individu atteint, son entourage, et représente également un lourd fardeau social et économique. Dans sa publication « Dépression : parlons-en » de mars 2017, l’OMS met en avant non seulement la souffrance des personnes atteintes de maladies mentales, mais également le coût socio-économique important de ces maladies. En effet, selon ce rapport, la perte économique mondiale relative au manque de reconnaissance et d’accès aux soins en cas de dépression ou autres troubles mentaux comme l’anxiété se chiffrerait à 1 000 milliards de dollars américains par an. Ce fardeau, pesant sur les familles, les employeurs et les gouvernements. En raison de son impact sur le fonctionnement humain et de sa propension croissante actuelle, la dépression se présente comme la première cause d’incapacité dans le monde (OMS, 2020).
4Selon la forme, la dépression peut être durable ou récurrente. Elle résulte d’interactions complexes entre les facteurs sociaux, psychologiques et biologiques. La forme majeure de dépression fortement corrélée au risque de suicide est la dépression durable (Shea et al., 2008). De plus, la dépression et l’anxiété semblent être des facteurs de risque pour le suicide en association avec des facteurs individuels et contextuels (Turecki & Brent, 2016).
5Les dépressions majeures, les addictions, la schizophrénie, les troubles bipolaires et les personnes souffrant de troubles sévères de la personnalité de type état limite sont également à risque d’idées suicidaires et de suicide (Fawcett et al., 1993).
6Le comportement suicidaire associé à la dépression majeure, est souvent conceptualisé le long d’un spectre allant de pensées suicidaires à la tentative de suicide et à la mort, en passant par l’élaboration de projets suicidaires (Findlay, 2017). En 2015, on estime que 788 000 personnes sont décédées dans le monde des suites du suicide ce qui représente 1,5 % de tous les décès, plaçant le suicide au niveau des vingt principales causes de décès. Le taux de suicide varie en fonction de l’âge, du sexe et du niveau socio-économique des régions. Selon les données recueillies par l’OMS, le suicide représente aussi 50 % des morts violentes chez les hommes 71 % chez les femmes et il est la deuxième cause de mortalité chez les 15-29 ans. Dans les pays les plus riches, trois fois plus d’hommes que de femmes décèdent par suicide, contre 1,5 fois dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Le suicide prélève ainsi un lourd tribut en vies humaines.
7Diverses études ont traité de la question de la dépression, du suicide et leurs représentations pour les communautés culturelles (Rodiguez et al, 2022). Dans notre étude, nous souhaitons spécifiquement nous intéresser aux représentations sociales associées à la souffrance psychologique, notamment la dépression, afin de soutenir des stratégies de préventions et d’interventions concernant le suicide non stigmatisantes et centrées sur les communautés (Rivera et al., 2021).
8À noter qu’en dépit des avancées scientifiques en matière de traitement des maladies mentales, dans les pays à revenus faible ou intermédiaire, entre 76 % et 85 % des personnes ne bénéficient d’aucun traitement (OMS, 2020). Le manque de ressources, la pénurie de soignants qualifiés, les erreurs de diagnostics, la stigmatisation sociale et le tabou liés aux troubles mentaux sont autant d’obstacles à l’accès et à l’administration de soins efficaces. Ces considérations subjectives pourraient être des indicateurs du comportement des individus, notamment leur choix de solliciter ou non l’aide des spécialistes ou même à commettre des actes comme le suicide.
9Plusieurs auteurs ont proposé une définition du concept des représentations sociales. Toutefois, la définition qui répond le mieux aux besoins de notre étude est celle de Jodelet (1989) qui définit les représentations sociales comme des phénomènes complexes (éléments informatifs, cognitifs, idéologiques, normatifs, croyances, valeurs, attitudes, opinions, images, etc.) organisés sous la forme d’un savoir disant quelque chose sur l’état de la réalité toujours activée et agissant dans la vie. Cette définition prend en considération différents concepts tels que l’environnement social aussi bien que l’aspect comportemental qui en découle.
10Ainsi, notre question de recherche est de savoir si les représentations sociales de la dépression et du suicide exercent une influence sur ceux-ci, le but étant de découvrir les meilleures pratiques de prévention, intervention et postvention.
Membres et équipe SHERPA
Yann Zoldan
Professeur en psychologie, Département des sciences de la santé, UQAC